19 mars 2006

Du meurtre d’Ilan Halimi à celui de Chaïb Zehaf : le racisme dans sa continuité

Présentation :
nous reproduisons cet article d'Yves Coleman, un des rédacteurs de la revue Ni Patrie Ni Frontière, démontrant par l'absurde où peut mener la distinction opérée par certains dans la prise en compte des crimes racistes suivant l'appartenance communautaire de la victime.
Le racisme divise la clase ouvrière : donc, ceux qui veulent unifier la classe ouvrière contre les patrons et leur Etat, doivent combattre tous les actes racistes, quelqu'en soient les auteurs ou les victimes.

La rédaction.

Le communiqué de la LCR à propos de l’assassinat d’Ilan Halimi exprime son empathie pour la famille d’Ilan et c’est très bien. La LCR a peur des récupérations médiatiques ou politiciennes de tout bord, elle a raison. Mais qu’est-ce qui les empêchait, elle, le MRAP, les Indigènes de la République et tous les multiculturalistes pointilleux en matière de définition de l’antisémitisme, d’appeler à un autre rassemblement pour exprimer leur point de vue tout en affirmant leur solidarité avec les Juifs et les juifs qui se sentent directement visés (à tort ou à raison, on peut en discuter) ?

La LCR, le MRAP, etc. attendent les résultats de l’enquête de police ? OK. Et si l’on découvre que ce crime a une dimension "antisémite" qui colle pile aux critères de définition de l’antisémitisme homologués par la LCR, le MRAP, etc., que feront nos multiculturalistes à deux vitesses, à ce moment-là ? Une autocritique ? Dans quatre ans ?

Il y a dix jours, Mouloud Aounit s’est rendu auprès de la famille d’un Algérien (Chaïb Zehaf) assassiné à la sortie d’un café à Oullins, dans le Rhône, par un consommateur ivre qui a aussi blessé le cousin de M. Zehaf. Cousin qui est resté menotté et n’a été emmené à l’hôpital qu’au bout d’une heure d’interrogatoire. Mouloud Aounit n’a pas eu besoin d’une longue « enquête policière » et n’a pas attendu les conclusions du procès du meurtrier pour se déplacer et se poser publiquement (et avec raison pour une fois) des questions sur :
1) un meurtre raciste (anti-arabe)
2) le comportement raciste des policiers qui d’ailleurs quinze jours après les faits n’ont toujours pas commencer à chercher des témoins et laissent la famille du mort mener l’enquête.

Quelle est la différence avec le meurtre d'Ilan Halimi ? Absolument aucune. Dans un cas, un Juif français (ou un Français juif, comme l’on voudra) a été assassiné, dans l’autre un Algérien. Chacun a été choisi pour cible en fonction de son appartenance supposée à une « communauté » imaginaire détestée par leurs meurtriers. (Je rappelle qu’il y avait bien d’autres consommateurs dans le café d’Oullins et que l’assassin a sciemment choisi les deux Algériens.)

Mais si l’on veut appliquer la méthode de prudence de la LCR et du MRAP au second crime, on pourrait tout aussi bien affirmer que c’est "par hasard", "sous le coup de l’alcool", "dans un moment d’égarement", etc. que le meurtrier a tiré. Gageons que son avocat tiendra certainement ce discours.

Quant au comportement des policiers qui ont arrêté et menotté un témoin blessé (le cousin du mort) et ne se sont pas enquis de sa blessure, la méthode prudente de la LCR et du MRAP nous dira sans doute que les policiers n’avaient pas mis leurs lunettes, que la pièce était plongée dans l’obscurité, que le cousin était "très agité", etc. Heureusement, la police française est là, elle enquête, et la justice tricolore décidera, en toute indépendance, de ce qu’est le racisme et l’antisémitisme, car, sans leurs doctes avis, nous ne savons plus réfléchir.

Après l’enquête et le procès, dans quelques années sans doute vu la rapidité de la procédure, la LCR et le MRAP pourront prendre position en toute sérénité et deviser doctement sur le degré de racisme ou d’antisémitisme dans une affaire et dans l’autre. Entre-temps, d’autres agressions ou meurtres racistes ou antisémites se produiront, rabaissés au rang de simples faits divers (sujets à une récupération indigne pour nos multiculturalistes) ou élevés au rang d’événements politiques importants (non récupérables selon les critères scientifiques du MRAP et de la LCR), au gré de calculs totalement incompréhensibles au commun des mortels.

Triste époque que la nôtre, où l’on voit la LCR et bien d’autres braves antiracistes de gauche ou d’extrême gauche attendre le résultat des enquêtes de police et des procédures judiciaires pour prendre une position politique claire sur une question aussi élémentaire qu’un acte antisémite.

(18 mars 2006)

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