16 janvier 2011

Vive la révolution en Tunisie !

Au Maghreb, au monde arabe, à l'Afrique, à l'Europe, au monde, le prolétariat, la jeunesse et le peuple de Tunisie montrent la voie !


Révolution !



Le mot s'est imposé à tous, les Tunisiens l'ont imposé : révolution !

Révolution : "irruption violente des masses dans le domaine où se règle leur propre destinée" (Trotsky). C'est bien de cela qu'il s'agit !

Ni Dieu, ni César ni tribun : c'est le jeune diplômé chômeur Mohamed Bouazizi de Sidi Bouzid qui, par son suicide, fut l'étincelle de la révolution qui a reconstruit par le bas la nation tunisienne contre l'État, contre les exploiteurs et contre les statues de tyrans et de grands chefs !

La révolte de la jeunesse s'est généralisée, les ouvriers et la masse de la population s'y sont mis, la liberté s'est imposée dans la rue au prix des morts et des martyrs. Ben Ali a commencé à reculer, le peuple a compris qu'il fallait maintenant passer à l'action. Depuis le mercredi 12, la consigne avait circulé partout : c'est vendredi, ce sera vendredi le jour de la grève générale et de la grande manifestation à Tunis pour chasser Ben Ali.

La nation s'est concentrée et unie contre le pouvoir exécutif au service du capital et de la corruption. Toute la journée du 14 la manifestation centrale avec une intelligence spontanée et héroïque propre aux révolution, a travaillé à disloquer les forces de répression pour que les armes changent de camp.

Là, ils faisaient face aux nervis du régime leur faisant comprendre que c'est le juste châtiment qui les attend, la détermination de la vengeance populaire.

Ici, ils embrassaient les militaires et certains policiers, les contraignant à leur serrer la main, paralysant leur détermination à obéir aux ordres.

Militaires et policiers ont senti qu'ils avaient le choix entre l'affrontement dans lequel leur propre sécurité physique n'était plus assurée, et le ralliement au peuple.

Les choses en étaient là, alors qu'en fin d'après midi les résidences de la famille Trabelsi (le clan de l'épouse de Ben Ali) étaient prises d'assaut, quand le premier ministre Ghanouchi, jusque là pratiquement inconnu du peuple et du monde, et des généraux, ont annoncé le "départ" de Ben Ali. De peur que l'assaut populaire ne les emporte tous, ils l'ont fait sortir par la petite porte de derrière.



La révolution ne fait que le jeu du peuple et de la démocratie.

Ainsi furent balayés par la meilleure des leçons, celle des actes, les peurs et les préjugés sur le fait que derrière la fin d'une dictature il pourrait y avoir complot étranger ou menace islamiste. Quand des barbus islamistes apparaissent dans les manifestations, les gens les font se retirer. La démocratie c'est le peuple et personne d'autre, ce ne sont pas seulement les "gens cultivés de la société civile". Les peuples tunisien, mais aussi algérien, égyptien, libyen, syrien, irakien, et même les Palestiniens envers l'Autorité palestinienne, ont trop souffert de la condescendance élitiste des technocrates et des stratèges "laïques" qui parlent en leur nom et accouchent au final du seul ordre de la terreur militaire et policière. Ces élites "laïques" et "éclairées" dont le vrai modèle est la Turquie kémaliste, en confisquant la "culture" avec les privilèges du pouvoir, ont en vérité fait le lit de l'islamisme. Mais l'islamisme lui aussi n'est plus neuf du tout et les peuples en ont fait l'expérience.

Cette condescendance qui se mue en haine (voyez les propos de l'ambassadeur démissionnaire de la Tunisie à l'ONU qui fantasme sur les "islamistes" et les "hordes anarchistes" qui vont venir "violer" les bons citoyens dans leurs maisons ! ) a reçu le leçon qu'elle mérite. Cette leçon vaut pour tout le monde arabe et avant tout pour le voisin algérien ...

La jeunesse tunisienne, et n'en doutons surtout pas ses sœurs de tout le Maghreb aussi, était et est en avance sur la pensée des politologues et des commentateurs condescendants : elle a fait le bilan du "nationalisme arabe" corrompu et dictatorial et de son fils, l'islamisme réactionnaire, elle n'en veut plus, ni des uns ni des autres.

Au fait, il est allé où, Ben Ali ? Le bruit qui a couru, repris d'abord par Al Jazira, selon lequel c'était à Paris, a certainement un fondement. Nul doute que son ami Sarkozy et ses services ont œuvré à lui trouver un point de chute, et peut-être même ont ils dû lui expliquer que la France serait un choix dangereux, non seulement pour lui ... mais aussi pour eux !

Alors, Ben Ali est allé en Arabie Saoudite.

Monsieur l'héritier du nationalisme bourgeois "arabe", Monsieur l'épigone de la génération de Bourguiba, Monsieur le rempart contre l'islamisme, Monsieur le dictateur, certes, mais "progressiste" et "éclairé", dont avait bien besoin ce peuple inculte de jeunes sauvages, d'ouvriers avides, de paysans superstitieux et de cybercriminels en puissance, Monsieur le mur protecteur de l'Occident comme de l'arabité, Monsieur en costume trois pièces, Monsieur le donneur de leçon en développement durable et bonne gouvernance, le voila chez le roi Saoud, au pays du voile obligatoire. Les piliers du vieil ordre se rejoignent. Quel symbole ! C'est au peuple tunisien de juger et condamner Ben Ali.

Quelles perspectives ?

Ceux qui ont évacué Ben Ali et l'ont soustrait au jugement populaire se sont autoproclamés gouvernants de la Tunisie. Dans la nuit qui a suivi, ils ont tenté d'imposer un couvre-feu précaire et en même temps, des bandes louches de flics et de lumpens ont commis des déprédations. L'affrontement entre le peuple et l'appareil d'État continue.

On parle d'élections libres, de retour ( ? ) à la démocratie, et de gouvernement d'union nationale.

Des élections libres, bien sûr ! A une assemblée constituante !

Mais qu'est-ce que cela veut dire, une assemblée constituante pleinement, réellement souveraine ?

Qu'est-ce que cela veut dire la démocratie réelle ?

Qu'est-ce que cela veut dire des élections vraiment libres ?

Cela veut dire que le couvre-feu des militaires comme les bandes armées de lumpens et de nervis doivent cesser. Donc qu'on les fasse cesser. Cela veut dire qu'il n'est pas question, du point de vue de la démocratie réelle, d'accepter un intérim militaire ou un "gouvernement d'union nationale".

Le seul intérim acceptable, c'est l'organisation et l'armement autonomes et indépendants du peuple par le peuple, qui a commencé.

Une assemblée constituante souveraine c'est une assemblée révolutionnaire, fruit de la révolution, qui n'a pas de caste d'officiers ni de "gouvernement d'union nationale" au dessus d'elle pour la superviser, la cadenasser et l'encadrer.

Les taches immédiates fondamentales sont donc :

Armement du peuple !

Élections libres immédiates, constituante sans délais, ni condition, ni surveillance, ni union nationale !

Et aussi :

Jugement des criminels, des tortionnaires, des corrompus, par des tribunaux populaires avec à leur service les magistrats et avocats ayant fait preuve d'indépendance !

Pour ce combat, le peuple tunisien a besoin de s'organiser, ce qu'il a commencé à faire.

Les organisateurs spontanés des manifestations, les combattants des journées de janvier, en prenant en main maintenant la sécurité et l'approvisionnement, vont approfondir ce mouvement.

La question se pose de la reconquête du syndicat national UGTT par les travailleurs, le réinscrivant dans la tradition de son fondateur Farhat Hached, assassiné en 1952. Le 14 janvier, jour où la grève générale et la manifestation centrale ont fait tomber Ben Ali, l'UGTT n'appelait qu'à deux heures de grève dans la matinée et à surtout ne pas manifester !

Enfin, au final, pour que l'assemblée constituante soit pleinement souveraine, il faut achever la destruction de l'État bourgeois corrompu, il faut une organisation politique indépendante des masses tunisiennes, révolutionnaire et démocratique.



Un tournant dans la situation mondiale.

L'étincelle du suicide de Mohamed Bouizizi et des jeunes diplômés chômeurs rejoignait les protestation de la jeunesse algérienne, les manifestations contre les hausses des prix des denrées alimentaires et de l'énergie qui vont se multiplier dans le monde entier, comme en Bolivie où elles ont eu momentanément gain de cause en contraignant le gouvernement Morales a annuler les hausses.

La crise du capitalisme, devenue une crise ouverte depuis 2008, entre dans une nouvelle phase. Non pas celle d'une reprise "lente" comme le racontent Sarkozy et la presse française, mais celle de l'incapacité des États à renflouer les banques, de l'inflation sur les produits vitaux consécutive aux émissions surabondantes de dollars, et des réactions brutales, intérieures et extérieures, des États-Unis à leur affaiblissement qui s'accélère.

Dans cette situation instable, où des risques de guerre, de la Corée à la Côte-d'Ivoire, ou d'effondrement par dominos successifs de la zone euro, les grèves de masse comme en Asie, et la révolution tunisienne, ne sont pas un facteur supplémentaire de chaos, elles sont le facteur d'ordre contre le désordre capitaliste et sa trainée sanglante de menaces de guerre et de catastrophes environnementales.

La première victoire que vient de remporter le peuple tunisien, ouvre une nouvelle période pour tout le monde arabe, immédiatement pour l'Algérie voisine où des manifestations similaires ont commencé. Contre l'avenir de guerre que dessinent le régime iranien et l'impérialisme étasunien flanqué de l'État d'Israël, et contre la dictature éternelle en Égypte ou en Libye, le soleil qui commence à se lever à Tunis, au centre du monde arabe méditerranéen, ouvre un nouvel horizon.



Une défaite sérieuse pour Sarkozy.

Jusqu'au bout, l'impérialisme français a soutenu Ben Ali. Nul doute qu'il soit au centre des manœuvres pour tromper le peuple, réprimer ou provoquer dans l'ombre, qui se poursuivent au lendemain du 14 janvier.

La chute de Ben Ali est un coup dur pour Sarkozy, qui en a "pris acte" et vient de convoquer un conseil des ministres extraordinaire à ce sujet. En l'espace d'une semaine, les deux ministres barons du gaullisme, personnages clef de son gouvernement récemment "remanié", ont été gravement discrédités :

- Alliot-Marie qui a appelé ouvertement à envoyer la police française en Tunisie aider Ben Ali : nul doute qu'ils comptaient le faire et qu'il y a déjà des conseillers en renseignement, combats de rue et torture, mais elle, elle l'a dit !

- Juppé qui est éclaboussé par les "zones d'ombre" comme est bien obligé de dire la presse qui, au départ, s'était, comme la plus grande partie du personnel politique mise au garde à vous dans l'affaire de la mort des deux jeunes otages français de Niamey. Ces "zones d'ombre" ne se limitent pas aux circonstances réelles de leur mort, elles remontent jusqu'à la nature même d'"Al Qaida" au Maghreb ou ailleurs, en lien avec la Sécurité Militaire algérienne, les services français et la CIA.

Au moment où, de Niamey à Abidjan, l'impérialisme français joue de plus en plus les pompiers incendiaires, la révolution tunisienne vient au bon moment signaler à qui doit appartenir le dernier mot.

Cela, à Paris comme à Tunis ...

MILITANT, le 15 janvier 2011.


Pour mémoire :

Quand DSK vantait le beau modèle benaliste, en novembre 2008 :
http://www.youtube.com/watch?v=xEA9X6j7b_U


Source : MILITANT Supplément du 15 janvier 2010