02 juillet 2006

Quand Fillon intime à Hollande l’ordre de rompre avec l’extrême gauche.

Par sa contribution intitulée Complaisance zéro pour l’extrême gauche ! (Le Monde du 28 juin 2006), François Fillon nous donne un aperçu des craintes de la bourgeoisie française.

Fillon, gaulliste de toujours dans sa vie politique, a rompu avec Chirac et a choisi le camp de Sarkozy. Son actif gouvernemental compte notamment la réforme des retraites en 2003, portant tous les salariés à 40 annuités de cotisations alors que les fonctionnaires étaient encore au régime des 37,5 annuités. Cette victoire contre les travailleurs lui a été acquise grâce à la complicité des dirigeants syndicaux, Chérèque en tête, qui ont refusé d’organiser la grève générale jusqu’à satisfaction des revendications alors que les conditions le permettaient en avril-mai 2003. Puis en 2004, il s’est attaqué à une nouvelle réforme libérale de l’enseignement. Son ralliement à Sarkozy signe le choix de l’affrontement direct, sans faiblesse, avec la classe ouvrière.

Avec un tel capital d’expériences, Fillon sait très bien ce que la bourgeoisie française doit aux dirigeants de la gauche politique et syndicale. Il sait très bien que Jospin a souscrit avec Chirac à l’engagement de Barcelone en 2002 de porter à 65 ans l’age du départ en retraite. Il sait très bien ce que le gouvernement de la gauche plurielle sous la direction de Jospin, avec la participation du PS, du PCF, des Verts et du MDC, a réalisé en matière de privatisations, de flexibilité. Pourtant dans cette tribune, Fillon ordonne à François Hollande, premier secrétaire du PS, de rompre avec l’extrême gauche et de tenir une attitude hostile à son égard, la comparant à l’extrême droite.

Fillon rêve de rééditer la configuration de 2002, d’abord celle du 1er tour. Le gouvernement Jospin venait de passer 5 ans à appliquer le programme de la droite en tournant le dos aux espoirs de sa base sociale, de ceux qui l’avait élu en 1997 pour se débarrasser de Juppé. Ce faisant, la politique du gouvernement Jospin avait suscité une forte abstention dans l’électorat de gauche, un fort mécontentement chez ceux qui continuaient à voter pour la gauche et une montée des suffrages en faveur de l’extrême gauche. Ainsi, la politique de la gauche plurielle avait permis de détruire la représentation politique des travailleurs incarnée dans la majorité parlementaire de gauche issue des urnes en juin 1997.En faisant la politique de la droite, elle avait ramené Chirac.

On sait le succès de cette orientation pour la bourgeoisie qui avait abouti au recul de tous les candidats associés à la gestion gouvernementale de la gauche plurielle et à l’élimination de tout candidat de la gauche pour le 2ème tour.

Lorsque Fillon appelle à « un face à face décapant, transparent et constructif entre les deux formations susceptibles de gouverner la France : l’UMP et le PS » , c’est cela qu’il a en tête : avoir la garantie que le PS s’il revient au pouvoir, se maintienne dans sa tradition de gérant loyal du capitalisme mais surtout, l’espoir de Fillon, c’est que le PS se grille suffisamment vis-à-vis des espoirs populaires, alors qu’un très fort mécontentement social s’est accumulé contre la droite depuis 2002, afin que le candidat du PS soit éliminé dès le soir du premier tour.

Or le PS, n’en déplaise aux gauchistes, reste un parti ouvrier bourgeois. Certes le caractère bourgeois de celui-ci s’est clairement illustré et affirmé ces 25 dernière années, notamment lors des périodes de gouvernance PS, certes le personnel dirigeant des sommets du PS est de plus en plus issu de l’ENA et a de moins en moins le caractère de « lieutenants ouvriers de la bourgeoisie » qu’avaient les dirigeants sociaux démocrates d’antan, mais le PS reste un parti attaché au mouvement ouvrier, à la gauche par l’histoire et par ce qu’en font les salariés.

Lorsque les électeurs ont sanctionné la droite aux élections régionales et cantonales de mars 2004 et aux européennes de juin 2004, en votant massivement pour le PS, ils n’ont pas adhéré en masse au « social-libéralisme », ils n’ont pas été « intoxiqués » par les idées contre-réformistes des sociaux-libéraux, ils se sont servis de ce qu’ils pensaient être leur parti. De même, lorsque le PS fait des dizaines de milliers d’adhésions ces derniers mois, ce n’est pas qu’à cause de la cotisation au rabais à 20 euros, c’est d’abord parce que ces nouveaux adhérents espèrent disposer d’un outil contre la droite et ses attaques anti-sociales et anti-démocratiques.

Aussi lorsque Hollande rencontre Besancenot sur un plateau de télé et passe un long moment à dire que les aspirations des électeurs, telles que le facteur les porte, à sa façon avec un vocable radical, sont parfaitement légitimes, cela donne des frayeurs à Fillon.

Fillon rêve à voix haute : il évoque le Labour britannique qui « s’est approprié les réformes de Margaret Thatcher ». Le bilan de Jospin ne lui suffit pas, il veut un PS qui affronte les aspirations sociales maintenant. Fillon, en politicien bourgeois avisé, sait que le basculement de la majorité de l’électorat socialiste en faveur du NON malgré la campagne ouiouiste du sommet, tout comme le positionnement de la CGT au CCN de février 2005, en dépit des souhaits de Thibault-Le Duigou, a assuré la victoire du Non le 29 mai 2005. Fillon sait que la perspective du vote utile, du vote contre la droite menace l’UMP et la 5ème République, comme résultat de la haine et de la frustration sociale générées par les attaques anti-sociales du gouvernement UMP et du MEDEF.

En un mot, Fillon souhaite que le PS se détruise maintenant en tant que parti ouvrier. Pour cela, il y a Ségolène. La candidature Ségolène est le meilleur espoir de la droite de rayer la possibilité d’une présence d’un candidat de gauche au second tour de la présidentielle.

Mais Fillon sait aussi que rien n’est joué : Ségolène n’a pas encore gagné son titre de fossoyeur de la gauche dés le premier tour. Pour cela, il intime l’ordre à Hollande de rompre avec l’extrême gauche, de la traiter en pestiférée. Pourtant Fillon, en homme de Chirac et de l’UMP, sait combien la bourgeoisie doit à « l’extrême gauche », à la LCR pour son appel à voter Chirac le 5 mai 2002. Il sait combien il lui est redevable de sa tactique électorale refusant de se désister sans condition au deuxième tour pour le candidat de gauche restant face à la droite. Mais cela reste des moyens dont la bourgeoisie préfère n’avoir recours qu’en dernière instance. Ce que la bourgeoisie veut, c’est l’élimination de toute représentation politique, même très déformée, des espoirs des travailleurs dès le soir du premier tour.

Pour cela, la bourgeoisie a besoin de deux repoussoirs : une Ségolène ou son clone pour susciter le maximum de rejet du coté de la gauche « radicale » ou l’abstention de l’électeur populaire « lambda », et d’un effet repoussoir vis-à-vis de l’extrême gauche en la diabolisant.

Pour atteindre ce deuxième objectif, Fillon, diplômé de droit public et de sciences politiques, a recours aux moyens dont usaient les staliniens d’antan, l’amalgame et la calomnie. D’une part, Fillon amalgame le rejet de l’économie de marché à l’apologie de la terreur et de la dictature. Si tu es pour l’appropriation collective des moyens de production, tu n’es pas fréquentable !

Retournons à Fillon son mensonge grossier : le maintien du système capitaliste au vingtième siècle a nécessité deux guerres mondiales et leurs millions de morts, une crise économique et sociale terrible à partir du krach de 1929, l’arrivée au pouvoir du nazisme et l’extermination industrielle du peuple juif d’Europe, le développement de l’arme nucléaire, les guerres coloniales dont celle de la France en Indochine et en Algérie, la répression massive du mouvement ouvrier en Italie, en Espagne, au Portugal, en Allemagne et partout où les régimes réactionnaires et fascistes ont pu le faire et enfin, last but not least, l’extermination de l’avant-garde révolutionnaire par les staliniens : des procès de Moscou contre la vieille garde du parti bolchévik à l’élimination des trotskistes vietnamiens dont le gouvernement français, à participation socialiste et communiste, sous la houlette du général de Gaule n’a pas eu à se plaindre.

Fillon, tout comme l’ensemble de la bourgeoisie française, est orphelin du stalinisme, du bon vieux temps où Thorez, sur ordres de Moscou, proclamait « Un seul Etat, une seule armée, une seule police » et où de Gaulle pouvait lancer la reconstruction de l’Etat bourgeois avec toute garantie de paix sociale de la part du stalinisme.

Contrairement à Fillon et ses pairs qui ont reçu en héritage le sang des deux guerres mondiales, des guerres coloniales et de la répression anti-ouvrière du siècle passé, les misères sociales de générations de prolétaires, le mouvement trotskiste a, lui, un héritage bien plus digne : celui des Communards fusillés en masse par Thiers et Gallifet, celui de l’opposition internationaliste à la boucherie mondiale, incarnée par Lénine, Trotsky, Liebknecht, Rosa Luxembourg, Rosmer, l’opposition à l’oppression coloniale, la solidarité avec les combattants algériens et indochinois pour l’indépendance, le soutien et la participation à la grève générale de juin 1936, à celle de 1953, à mai-juin 1968, celui de l’opposition au stalinisme au prix des calomnies de la presse stalinienne, des coups du SO stalinien et des balles dans la nuque du NKVD.

Enfin, retournons à Fillon le dernier de ses mensonges, celui que ses prédécesseurs des années 30, 40, 50 partageaient avec les dirigeants staliniens, celui de l’assimilation de l’URSS sous la férule des bureaucrates avec le socialisme, le communisme. Ce gros mensonge arrangeait bien les capitalistes car il leur permettait d’effrayer certaines couches des travailleurs avec les horreurs du Goulag, et d’organiser la division entre travailleurs communistes et socialistes. Les staliniens, de leur coté, pouvaient claironner : la preuve par la propagande bourgeoise que « l’URSS c’est vraiment le communisme » permettait de faire avaler bien des couleuvres à des millions de prolétaires sincères qui aspiraient à changer le monde et se retrouvaient fourvoyés par des faussaires affublés de drapeaux rouges, de masques de Lénine, qui singeaient les mœurs et coutumes des origines du mouvement révolutionnaire né d’Octobre 1917.

Pour Fillon et les siens, les offres de bons services de l’appareil du PS ne paraissent pas suffisantes. Qu’un Hollande tente d’amadouer l’électorat d’extrême gauche en débattant avec le « facteur » n’apporte pas assez de garantie de sa capacité à sauvegarder le système.

Fillon veut gagner en 2007 dès le premier tour, tenons-nous le pour dit ! Ne laissons pas Ségolène Royal et François Hollande offrir ce plaisir à la droite, organisons-nous pour virer la droite le plus tôt possible et imposer une politique favorable aux travailleurs.

La solidité de cette organisation passera par son indépendance vis-à-vis de la course aux présidentiables au sein du PS comme vis-à-vis de l’imbroglio au sein de la « gauche antilibérale » entre les candidatures Arlette, Besancenot, Buffet, Bové…Mais qui dit indépendance ne dit pas nécessairement insouciance à l’égard de ce qui se passe dans les « organisations traditionnelles » PS, PC, LO, LCR…

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